Détecter les pannes sur une voiture ou sur une chaîne de production et savoir comment agir pour ne plus en avoir ? C’est le défi que cherche à relever cette thèse Cifre1 encadrée par Élisa Fromont, professeure à l'Université de Rennes et membre de l'équipe de recherche Lacodam, réalisée en collaboration avec Stellantis (anciennement Groupe PSA).
Élisa Fromont a encadré 12 thèses Cifre depuis 2011. Pour elle, faire de la recherche en collaboration avec des entreprises est un vrai atout : « Ces collaborations permettent de ne pas être déconnectée des besoins de la société. De plus, cela apporte des problématiques nouvelles et intéressantes. Travailler avec une entreprise privée, c’est également avoir accès à de vrais cas avec de vraies données sur des problématiques sociétales concrètes. »
Une collaboration renouvelée
La collaboration entre Élisa Fromont, équipe de recherche Lacodam (équipe commune2 du Centre Inria de l’Université de Rennes) de l’IRISA et Stellantis (anciennement Groupe PSA) a débuté en 2019, lors d’une première thèse Cifre qui a abouti sur une nouvelle technologie mise en place sur le terrain. En 2023, Stellantis est revenu vers son équipe avec un nouveau projet. Élisa Fromont a alors proposé un sujet adapté à leurs besoins : « Nous avions un sujet en interne sur lequel nous voulions travailler et nous l’avons proposé à Stellantis. » Le doctorant Paul Sevellec a alors été recruté pour cette thèse, encadrée par Élisa Fromont, Romaric Gaudel et Laurence Rozé (équipe de recherche Lacodam).
De quel accompagnement avez-vous bénéficié ?
J’ai eu la charge de nombreuses thèses CIFRE, j’ai donc de l’expérience des collaborations avec des entreprises et les compromis application/recherche que cela comporte. L’entreprise apporte son soutien financier et ouvre également un accès à des données internes au doctorant.
De l’IA explicable dans le domaine automobile
La thèse de Paul Sevellec porte sur l’intelligence artificielle (IA) prédictive dans le secteur automobile, que ce soit pour la phase de construction ou pour l’utilisation des véhicules. Les modèles prédictifs utilisés sont issus d’algorithmes d’apprentissage automatique. Ils ont pour objectif de prédire des résultats à partir de données. Dans le cadre de cette thèse, les données proviennent de capteurs présents dans une voiture ou sur une chaîne de production. Dans ces contextes, plusieurs mesures peuvent être collectées simultanément, à une certaine fréquence constituant ainsi une série temporelle multivariée. Ces séries multivariées sont la cible des algorithmes qui intéressent Elisa Fromont. Il existe déjà des algorithmes permettant d’apprendre des modèles prédictifs sur ce type de données mais Élisa Fromont et son équipe ne cherchent pas seulement à appliquer ces modèles de prédiction mais également à expliquer leurs décisions : « Nous voulons trouver comment expliquer ce qui est prédit et, encore mieux, l’expliquer de manière contrefactuelle ». En IA explicable, une explication contrefactuelle est une approche qui aide à comprendre les décisions d'un modèle, en proposant des modifications minimales aux données d'entrée pour obtenir un résultat différent. Par exemple, elle peut indiquer ce qu’il faudrait changer dans une demande de prêt refusée pour qu'elle soit acceptée. Elle rend les modèles plus transparents et interprétables pour les utilisateurs. L’idée est de pouvoir répondre à la question « qu’aurait-il fallu changer sur la ligne de production pour qu’il n’y ait pas de panne ? ».
Ainsi, en plus de savoir identifier la source de la panne, ce procédé permet d’expliquer la panne avec une information sur les changements à faire pour l’éviter : la prédiction donne la cause et l’action correctrice à mettre en place.
Pour collecter les données et leurs prédictions associées (qui vont permettre d’entrainer les modèles prédictifs) mais aussi pour évaluer la qualité des explications contrefactuelles produites, Élisa Fromont et son équipe travaillent avec des experts de Stellantis. En 2024, l’équipe a ainsi pu mettre au point un premier prototype à partir de données publiques. En 2025, ce modèle sera adapté aux besoins réels et aux cas d’usage de Stellantis.
L’explicabilité de l’IA est un sujet de recherche très compétitif et dynamique en France et à l’international. La particularité de ce projet de recherche est le type de données sélectionnées et son application concrète dans un sujet industriel.
« C’est une vraie valeur ajoutée de travailler sur des données et des cas concrets. Ils nous font confiance. » Mais travailler en collaboration avec une entreprise privée nécessite un juste équilibre : « Il faut trouver le bon compromis entre la valorisation scientifique via les publications et ce qui est utile pour l’entreprise. Pour ça, il faut bien déterminer les objectifs de recherche et les moyens de les mesurer. »
Que représente ce prix pour vous ?
Je suis contente que ma participation active à des projets en lien direct avec des entreprises soit reconnue et que les collaborations industrielles soient valorisées. C’est un sujet qui me tient à cœur et la thèse qui est récompensée est une très belle thèse avec de futurs résultats qui vont être intéressants. Je trouve qu’il est important de promouvoir les avantages de la valorisation et des thèses CIFRE dans le milieu universitaire. Peut-être que cela va encourager d’autres collègues à candidater et bénéficier de ce dispositif.
1. Convention industrielle de Formation par la Recherche
2. L'IRISA (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires) est une unité mixte de recherche du CNRS et de l’Université de Rennes. Sept autres établissements sont tutelles de l’unité : CentraleSupélec, ENS Rennes, IMT Atlantique, Inria, INSA Rennes, Inserm, Université Bretagne Sud.
Source: "Plume & Sciences"
Crédit photo © Julien Mignot