Depuis pratiquement son apparition, la réalité virtuelle a été promise à des applications très importantes dans le domaine de l’archéologie et du patrimoine culturel. Que ce soit pour les archéologues et les historiens [1, 10, 11], ou même pour le grand public [6], la réalité virtuelle permet d’interagir avec des objets, des artefacts ou des lieux du passé, sans les altérer et en toute sécurité. Les dispositifs de réalité virtuelle transforment progressivement le métier et les techniques d’investigation des professionnels du secteur en leur proposant de nouveaux modes d’interaction [9], d’interprétation [5], ou de collaboration [3]. Depuis quelques années, la diffusion massive des casques de réalité virtuelle a encore accéléré ce processus.Cependant, l’exposition à des représentations archéologiques virtuelles peut différer d’une confrontation directe avec les éléments réels [12]. Au cours de cette thèse l’objectif premier sera de s’assurer que l’usage de la réalité virtuelle permet de reproduire une expérience archéologique au plus proche du réel. Nous comparerons dans des expériences contrôlées les données qui peuvent être extraites (apparence, utilité, fonctionnement...) lors de la manipulation directe d’objets archéologiques (exemple d’artefacts, Fig. 1)et lorsque ces même éléments sont manipulés en réalité virtuelle. En plus de permettre l’extraction d’une quantité d’informations archéologiques similaire, il est également nécessaire de s’assurer que l’exploration en réalité virtuelle n’induit pas de biais d’interprétation. Il s’agira donc de déterminer les paramètres les plus importants à respecter pour que la simulation soit au plus proche du réel et que l’exploration numérique diffère le moins possible de l’expérience en conditions réelles [7, 17].
Dans la partie précédente, nous nous intéressions au cas des objets complets, mais il est fréquent que les éléments archéologiques parvenus jusqu’à nous soient incomplets ou abîmés. Lorsque des copies physiques de ces éléments sont réalisées, les éléments manquants sont souvent reconstitués pour restaurer un objet ou un artefact complet et ainsi mieux se représenter sa fonction ou son aspect réel lors de l’exploration physique. La manière dont cette reconstitution est effectuée est sujette à interprétation : rester le plus fidèle possible quitte à induire de fausses représentations, ou bien s’éloigner de la véracité pour qu’il n’y ait pas de confusion entre les éléments originels et ceux ajoutés (anastylose) [13]. La problématique est la même en réalité virtuelle avec des enjeux plus importants parce que les possibilités sont plus vastes. En modélisant virtuellement un élément archéologique, il est possible de reconstituer des parties manquantes pour qu’elles ne soient pas visible ou bien au contraire, rendre encore plus visible les zones reconstituées, ou encore rendre paramétrable par l’utilisateur l’apparence de ces éléments ajoutés [8, 14]. C’est cet espace de représentations et d’interaction qui sera exploré.
Nous nous intéresserons également au cours de ce travail de thèse à la manière de représenter visuellement en réalité virtuelle ou augmentée des éléments cachés, par exemple l’intérieur d’un objet dont le contenu a été visualisé par rayons X [4]. Il existe un réel enjeu sur la manière de représenter au mieux ces éléments cachés pour qu’ils ne soient pas confondus avec les autres éléments, avec une attention particulière sur la perception de la profondeur liée à la nature volumique des données, et que leur exploration soit cependant naturelle. Il s’agira donc de concevoir et évaluer des représentations de ces éléments cachés, et leur perception, pour les faire coexister avec les éléments directement visibles.
Dans cette thèse, nous nous intéresserons donc à trois questions de recherche :
1. Déterminer les différences entre exploration réelle et virtuelle et les paramètres qui expliquent ces différences
2. Caractériser l’influence perceptuelle des parties reconstituées en réa-lité virtuelle
3. Concevoir et évaluer des représentations adéquates de parties en temps normal non visibles.
Pour parvenir à ces trois objectifs, nous nous appuierons sur les connaissances et les outils informatiques de la RV, mais également sur des outils issus des neurosciences, comme l’analyse des mouvements oculaires, pour étudier la manière dont les objets sont explorés visuellement, en fonction de leur apparence. L’approche couplant neurosciences et archéologie a récemment pris une grande importance avec un certain nombre de travaux préliminaires qui manquent toutefois d’une méthodologie globale [2, 15], et ne tirent pas réellement partie des possibilités de la réalité mixte [16]. Le couplage des 3domaines, archéologie, informatique et neurosciences, associé à la mise en œuvre et l’évaluation d’une méthodologie rigoureuse, permettra de mieux caractériser l’exploration d’artefacts archéologiques.
Au cours de cette thèse, le ou la doctorante devra :
1. Réaliser une analyse de la littérature existante,
2. Dégager des hypothèses scientifiques et protocoles à tester en collaboration avec des archéologues partenaires de l’équipe d’accueil,
3. Concevoir des techniques et simulations de réalité virtuelle nécessaires,
4. Faire passer des expériences utilisateurs pour tester les hypothèses,notamment dans la plateforme Immersia,
5. Analyser les résultats expérimentaux,
6. Participer à la rédaction d’articles scientifiques sur les résultats obtenus.
Cette thèse s’effectuera au sein de l’équipe Hybrid à l’IRISA/Inria Université de Rennes. L’équipe Hybrid a une expertise internationalement reconnue dans le domaine de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée. Depuis une dizaine d’année, l’équipe mène également des travaux à l’interface entre réalité virtuelle-augmentée, neurosciences et archéologie.
Cette thèse sera dirigée par Valérie Gouranton, enseignante-chercheuse en Réalité Virtuelle, Augmentée, Interaction à l’INSA Rennes, responsable de l’axe transverse Arts, Culture & Patrimoine.
La thèse sera encadrée par Marc Macé, chercheur en informatique et neurosciences (interfaces cerveau-ordinateur), Ronan Gaugne, responsable technique de la plateforme Immersia et Théophane Nicolas, archéologue.
Compétences requises
— Intérêt ou connaissances en réalité virtuelle et/ou augmentée, sciences cognitives et/ou neurophysiologie
— Expérience dans la réalisation d’expérimentations utilisateurs et l’analyse statistique de données
— Expérience dans le développement d’environnements virtuels 3D avec Unity
— Développement Python/C#/R
[1] Christou et al. “A versatile large-scale multimodal VR system for cultural heritage visualization”. In :Proc. of ACM symp. VRST. 2006, p. 133-140.
[2] Criado-Boado, et al. “Coevolution of visual behaviour, the material world and socialcomplexity, depicted by the eye-tracking of archaeological objects inhumans”. In :Scientific reports 9.1 (2019), p. 3985.
[3] Forte et al.Cyber-archaeology. Archaeopress Oxford, 2010.
[4] Gaugne et al. “Evaluation of a mixed reality based methodfor archaeological excavation support”. In :ICAT-EGVE 2019.
[5] Gaugne et al. “Virtual Reality (VR) interactions with multiple interpretations of archaeological artefacts”. In EG GCH 2018 Workshop on Graphics and Cultural Heritage. 2018,p. 1-9.
[6] Häkkilä et al. “Visiting a virtual graveyard: designing virtual reality cultural heritage experiences”. In Proc. of 18th int. conf. on mobile and ubiquitous multimedia. 2019.
[7] Ali Mirzaei et al. “Comparing real and virtual object manipulation by physiological signals analysis: A first study”. In CHIRA 2018.
[8] Nicolas et al. “Lift the veil of the block samples from theWarcq chariot burial with 3D digital technologies”. In IEEE Int. Conf. VSMM 2018
[9] Nicolas et al. “Touching and interacting with inaccessible cultural heritage”. In Presence 24.3 (2015)
[10] Paradis et al. “Making virtual archeology great again(without scientific compromise)”. In Int. Arch. of Photogrammetry, Remote Sensing and Spatial Information Sciences 42 (2019), p. 879-886.
[11] Rua et Alvito. “Living the past: 3D models, virtual reality and game engines as tools for supporting archaeology and the reconstruction of cultural heritage – the case-study of the Roman villaof Casal de Freiria”. In Journal of Archaeological Science 38.12 (2011),p. 3296-3308.
[12] Rusnak. “2D and 3D representation of objects in architectural and heritage studies: in search of gaze pattern similarities”. In Heritage Science 10.1 (2022), p. 1-18.
[13] Rusnak et al..“How to Enhance Perception of Reassembled but Incomplete Works ofAncient Art? Eye-Tracking Study of Virtual Anastylosis”. In Arts.T. 12. 1. MDPI. 2023, p. 15.
[14] Shakya et al. “Virtual restoration of damaged archeological artifacts obtained from expeditions using 3D visualization”. In :Journal of Innovative Image Processing (JIIP)1.02 (2019), p. 102-110.
[15] Silva-Gago et al. “Not a matter of shape: The influence of tool characteristics on electrodermal activity in response to haptic exploration of Lower Palaeolithic tools”. In American Journal of Human Biology 34.2 2022
[16] Silva-Gago et al. “Visual attention and cognitive archaeology: an eye-tracking study of palaeolithic stone tools”. In Perception51.1(2022), p. 3-24.
[17] Takahashi et al. “Evaluation of the Difference of Human Behavior between VR and Real Environments in Searching and Manipulating Objects in a Domestic Environment”. In IEEE Int. Conf. on Robot & Human Interactive Communication (RO-MAN). 2021, p. 454-460.